Logement : un fichage des locataires mauvais payeurs d’ici 2021 ?

La Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) a annoncé son intention de « créer un fichier des incidents de paiement locatifs » à l’occasion de sa conférence de presse du 15 janvier. Le syndicat des professionnels de l’immobilier souhaite mettre en place un fichier national, baptisé Arthel, qui recenserait tous les locataires avec au moins trois mois de retard, consécutifs ou non, dans le paiement de leurs loyers. La Fnaim indique également que les locataires qui y seraient mentionnés disposeraient d’un droit à l’oubli au bout de trois ans et que seuls les professionnels du secteur pourraient accéder à ce fichier, pas les particuliers-loueurs.

Ce projet de fichier, qui devrait être opérationnel d’ici 2021, fait suite au rapport du député Mickaël Nogal (La République en Marche) et à la proposition de loi qui en découle sur les relations entre propriétaires et locataires. Cette dernière devrait être débattue au printemps 2020 à l’Assemblée nationale et prendre effet en 2021. Ce texte prévoit notamment d’instaurer, pour les administrateurs de biens, un nouveau type de mandat de gestion locative pour que les propriétaires soient assurés de recevoir un loyer chaque mois, indépendamment de la situation du locataire. Comme l’indique Jean-Marc Torrolion, Président de la Fnaim, dans les colonnes du Parisien, avec cette loi « il nous revient de garantir en temps et en heure le versement de chaque loyer au propriétaire-bailleur. Pour ce faire, soit nous décidons d’être hyper-sélectifs à l’égard des locataires que nous choisissons au risque d’en exclure certains, soit nous restons ouverts et créons un fichier des incidents de paiement pour nous protéger ». En effet, ce fichier permettrait aux bailleurs de pouvoir ajuster la garantie pour loyer impayé en fonction du « risque » présenté par le locataire.

L’annonce de la création d’un tel fichier a suscité des critiques de toutes parts. Le gouvernement, par la voix du Ministre du logement, Julien Denormandie, a clairement affiché sa désapprobation car « la réconciliation entre propriétaires et locataires impose d’abord de ne pas stigmatiser les uns ou les autres ». Les associations sont également vent debout. La Confédération nationale du logement (CNL), par l’intermédiaire de son Président Eddie Jacquemart, s’indigne : « Ce fichier est purement scandaleux. C’est une atteinte à la vie privée et une barrière supplémentaire à l’accès au logement ». La CNL a d’ailleurs sollicité par courrier l’intervention du Ministre auprès de la Fnaim pour mettre fin à ce « projet inacceptable et stigmatisant ». Même réaction du côté de la CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie) qui indique que « la constitution d’un tel fichier est purement scandaleuse car, en plus d’être attentatoire à la vie privée, elle sera source de discrimination et de stigmatisation ». L’association de lutte contre le surendettement, CRÉSUS, montre aussi sa réserve : « Il existe beaucoup de fichiers privés de mauvais payeurs, par exemple pour les opérateurs de téléphonie (Préventel), les découverts et impayés de crédit (Banque de France), cela est très stigmatisant, estime Jean-Louis Kiehl, son Président. Et cela risque de compliquer plus encore l’accès des ménages modestes à une location ». Enfin, le futur fichier Arthel est également fustigé par les syndicats de propriétaires. S’il en comprend la logique, le directeur général de l’UNPI (Union nationale des propriétaires immobiliers), Pierre Hautus, lui reproche « de produire de la discrimination positive. Le nouveau mandat de gestion ne prendra que les locataires premium et les autres ne seront pas assurés. On aura donc des locataires de troisième zone dans le parc locatif privé non intermédié ».

Outre la philosophie même du fichier, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’inquiète de sa constitution et des accès. Elle rappelle que « le fichier ne doit pas servir à détecter un risque d’impayé » et que les règles encadrant les fichiers de mauvais payeurs sont très strictes. Les locataires doivent être complètement informés de son fonctionnement et disposer d’un droit de regard. Toutes les données des personnes doivent être supprimées dès régularisation du paiement. Les professionnels de l’immobilier qui alimenteront ce fichier doivent pouvoir justifier de procédures de relance avant de pouvoir y inscrire un locataire. Enfin, pour garantir la confidentialité des données, la CNIL exige des mesures de sécurité informatique régulièrement mises à jour.

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A retenir :

  • Les professionnels de l’immobilier, par le biais de la Fnaim, souhaitent mettre en place un fichier des locataires mauvais payeurs d’ici 2021. Les locataires en retard de plus de trois mois du paiement de leur loyer y seront inscrits par les professionnels du secteur. La consultation du fichier, baptisé Arthel, leur sera réservée.
  • Le gouvernement, les associations de défense des consommateurs mais aussi les syndicats de propriétaires ont vivement réagi suite à cette annonce. Ils dénoncent la stigmatisation des locataires qui peuvent avoir des accidents de paiement.
  • Le gendarme des libertés et des données (CNIL) affirme « accorder une attention très particulière à ces fichiers de mauvais payeurs et à ces listes noires, au regard des risques qui pèsent sur les droits et libertés des personnes concernées ». Elle rappelle les obligations minimales à respecter en termes d’information des locataires, de constitution et d’accès à un tel fichier.
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