Depuis près de 50 ans, la situation des déserts médicaux en France ne fait que s’aggraver, avec des conséquences réelles pour la santé des Français.
Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, déclarait le 3 septembre dernier sur France Bleu vouloir mettre fin aux déserts médicaux « d’ici à peu près cinq ans ». Cette promesse paraît intenable, tant la situation est devenue préoccupante.
D’après une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) publiée en février 2020, l’accessibilité géographique aux médecins généralistes a baissé de 3,3 % entre 2015 et 2018. Elle indique par ailleurs que les inégalités entre les territoires s’accentuent. Ainsi, près de 6 % de la population est concernée par une sous-dotation en médecins généralistes (soit environ 3,8 millions de personnes). Les territoires les mieux pourvus sont aussi les plus attractifs, tant en termes de croissance démographique qu’en termes d’équipements (sportifs, commerciaux, scolaires, culturels…). « L’accessibilité aux médecins généralistes s’inscrit ainsi dans une problématique plus globale d’aménagement du territoire », indique la DREES.
Baisse des moyens
La pénurie de médecins n’est pas nouvelle. C’est le cas en particulier des spécialistes dans les milieux ruraux mais aussi des généralistes dans les banlieues. Elle est le résultat de politiques publiques instaurées depuis près d’un demi-siècle et dont nous percevons davantage les failles en pleine période de pandémie.
De l’instauration du numerus clausus dans les années 1970, pour limiter le nombre d’étudiants en médecine, à la mise en place de la tarification à l’acte dans les hôpitaux en passant par la suppression de lits, la réduction des effectifs et la baisse généralisée des moyens, de nombreux services sont contraints de fermer temporairement (pendant les vacances) voire définitivement pour répondre aux injonctions de mutualisation des moyens formulées par le gouvernement et relayées par les ARS (Agences Régionales de Santé). Résultat : certains spécialistes sont absents dans des régions entières, privant les habitants d’un suivi médical efficient.
Moins de cancérologues, plus de décès
En effet, selon une enquête menée par des étudiants de l’école de journalisme de Strasbourg (Cuej) en lien avec le journal indépendant Disclose, il y aurait un lien de cause à effet entre le manque de spécialistes du cancer dans certains départements et le taux de mortalité lié à ces maladies. « Sur les dix départements où le nombre d’oncologues, d’hématologues, de radiothérapeutes et autres spécialistes du cancer est largement inférieur à la moyenne nationale, nos calculs indiquent que huit d’entre eux ont enterré beaucoup plus de malades du cancer que le reste du pays, entre 2012 et 2019 ».
Une corrélation déjà évoquée dans un rapport de Santé Publique France en 2019. En ce qui concerne la cardiologie, 10 départements ne disposaient entre 2012 et 2019 que de trois cardiologues pour 100 000 habitants, contre 365 pour la région des Bouches-du-Rhône. Les ophtalmologues et les gynécologues sont eux aussi quasiment absents de certains territoires. Des services d’urgences obstétriques ont même dû fermer leurs portes, contraignant de nombreuses femmes à parcourir plus d’une heure de route pour accéder à la maternité la plus proche…
Des dispositifs inadaptés et mal connus
Depuis 1995, pas moins de 25 dispositifs publics ont été mis en place, sans résultats probants. La Cour des comptes indiquait en 2017 : « Ces initiatives dispersées ont conduit depuis le début des années 2010 à une forme de fuite en avant, sans évaluation ni de l’efficacité globale ni du rapport coût/avantage qui en résulte ». Selon Laure Dominjon, Présidente de l’Intersyndicale des jeunes médecins ReAGJIR, ces mesures sont souvent inadaptées aux évolutions du métier et trop méconnues des jeunes médecins, pointant « l’absence de collaboration entre les ARS et les facultés de médecine ». L’empilement des dispositifs a d’ailleurs plutôt tendance à desservir la cause, en raison d’une surenchère des collectivités qui contribue à accentuer les fractures territoriales.
Quant aux mesures plus contraignantes, telles que la fin de la liberté d’installation, les sanctions pécuniaires ou la délégation d’actes médicaux à d’autres professionnels, elles n’ont jamais vu le jour, la profession y étant opposée, à commencer par les 41 médecins élus à l’Assemblée nationale. Le député de la Mayenne Guillaume Garot a présenté en 2019 trois propositions de loi pour lutter contre les déserts médicaux, toutes rejetées par la majorité parlementaire.
Enfin, la fin du numérus clausus, décidée en 2020, devrait permettre de former 10 000 médecins par an, soit trois fois plus que les années précédentes, selon le ministre de la Santé. Cependant, la sélection restera tout aussi rude, les capacités d’accueil des universités étant peu extensibles. Par ailleurs, les études de médecine étant longues, les premiers résultats de cette mesure ne seront pas perceptibles avant une dizaine d’années .
Télémédecine : remède miracle ?
Aujourd’hui, le gouvernement compte sur la télémédecine pour endiguer le phénomène des déserts médicaux. En 2020, l’Assurance maladie a enregistré 19 millions d’actes remboursés en téléconsultation, dont 80 % étaient assurés par des médecins généraliste.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé que les téléconsultations resteront prises en charge à 100 % jusqu’en 2022. Mais de nombreux Français sont également victimes de ce que l’on appelle la fracture numérique. Cela peut se traduire par une couverture Internet insuffisante, une insuffisance de moyens pour se procurer le matériel ou un manque de compétence dans l’usage de ces outils. Cela concerne aussi bien les seniors, que les étudiants par exemple. Remédier aux inégalités d’accès aux nouvelles technologies semble être une priorité pour envisager un déploiement efficace de la télémédecine…